Eau rare, ô désespoir
À partir du 27/08/2022
Des champs grillés par le soleil, des pluies torrentielles, du bétail maigrichon faute de fourrage… Comment l’agriculture française peut-elle s’adapter durablement aux conséquences du dérèglement climatique tout en équilibrant ses besoins en eau ? Une équation à inconnues multiples qui divise.
Par Christophe Polaszek
C’est la double peine : avec des sécheresses en France de plus en plus fréquentes et précoces, non seulement les ressources en eau diminuent, mais la demande en eau des plantes augmente dans le même temps sous l’effet des fortes chaleurs. En première ligne : l’agriculture.Le secteur consomme près de la moitié de l’eau disponible dans la nature, principalement en été, le reste se partage entre les usages domestiques(eau potable), la production d’énergie et l’industrie.
« Certes, il y a suffisamment d’eau douce en France pour répondre à nos besoins. Ce qui pose problème, c’est la question de sa répartition sur nos territoires »
explique Sami Bouarfa, chef adjoint du département Aqua à l’Inrae.
Dans le Sud, certains départements, comme les Bouches-du-Rhône ou le Var, sont pratiquement en tension hydrique permanente. La hausse des températures sur le pourtour méditerranéen, de l’ordre de 1,5 °C en un siècle, contribue bien sûr à cette situation. Et surtout, l’attractivité touristique des côtes fait doubler, voire tripler, la population des communes littorales en été, créant un énorme appel d’eau… précisément au moment où il y en a le moins dans les rivières et les nappes phréatiques.
« Partout, les conflits se multiplient entre les usages agricoles et les besoins des villes, mais aussi – et c’est heureux – entre la nécessité de laisser assez d’eau à la nature pour qu’elle se régénère et ne soit plus juste une variable d’ajustement », souligne le chercheur, rappelant que, d’après Météo France, les territoires frappés chaque année par une sécheresse ont doublé depuis les années 1960.
L’IRRIGATION, DIFFÉREMMENT
Alors, pourra-t-on éviter une guerre de l’eau ? Certains agriculteurs réclament d’ores et déjà plus d’aménagements (retenues d’eau, canaux…) et la possibilité de puiser davantage dans des nappes et des rivières souvent exsangues et dont on sait qu’elles baisseront encore sous l’effet du réchauffement climatique.
« Au lieu de préserver l’eau, on multiplie la construction d’énormes bassins de rétention qui menacent les nappes phréatiques et ne profitent qu’à une minorité », déplore Agnès Fortin Rousteau, agricultrice bio en Charente où neuf « méga bassines » sont en projet pour permettre l’irrigation de 19 exploitations.
Cela ressemble pourtant à du bon sens paysan : stocker les eaux de pluie hivernales pour ensuite les utiliser en saison sèche.
Mais pour cette militante de la Confédération paysanne et membre du groupement de producteurs Ferme de Chassagne, sociétaire de Biocoop, c’est tout l’inverse :
« Cet hiver, les nappes ne se sont pas rechargées. Beaucoup de ruisseaux sont en voie de disparition et des zones humides comme le Marais poitevin s’assèchent. En outre, cette logique productiviste “irriguer plus pour gagner plus”, portée par certains agriculteurs, accapare l’eau et concentre d’importantes quantités de substances chimiques qui polluent les milieux aquatiques. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille abandonner l’irrigation. Mais pourquoi ne pas miser sur une véritable concertation, ce qui, pour le coup, relèverait du vrai bon sens ? »
MIEUX UTILISER LA RESSOURCE
La bonne nouvelle est que nous connaissons les solutions à mettre en place pour modifier le cours des choses. L’enjeu est bien évidemment d’économiser la ressource. Optimiser l’arrosage des cultures, introduire des arbres dans les champs pour apporter de l’ombre, sélectionner des espèces et des variétés plus sobres…
Dans le Sud-Ouest, on observe une diminution des surfaces irriguées de maïs au profit de nouvelles plantes telles que le sorgho ou la luzerne, plantes à enracinement profond qui résistent mieux à la sécheresse.
Jean-Luc Manguy, producteur céréalier (Ferme de Chassagne) à Londigny, a choisi de remplacer ses 20 ha de maïs par des légumes secs. Autant par réalisme que par conviction.
« Je voulais des cultures qui soient valorisées au niveau local. Quand on exporte du maïs, c’est toute l’eau qui a servi à le faire pousser qu’on exporte », remarque-t-il. Converti en bio depuis 2005, Jean-Luc Manguy dispose d’un puits alimenté par la Péruse, petit affluent de la Charente. « Dans mes rotations, les lentilles et les pois verts ne nécessitent qu’un seul passage au moment de la floraison, les haricots blancs, moitié moins d’eau que le maïs. J’ai également planté 6 km de haies dans mon exploitation de 70 ha. L’idée, c’est de recréer un microclimat et de réduire le vent qui favorise l’évaporation des sols. » Tous ces efforts ont permis au paysan de passer d’une consommation de 50 000 m3 à 10 000 m3 d’eau par an. Soit 16 piscines olympiques d’économie ! |
RAFRAÎCHIR LES SOLS
Autre piste : le recours à l’agriculture de conservation.
Cette technique consiste à faire pousser des plantes qui vont nourrir le sol, puis de les écraser pour former un paillis qui protège le sol des chaleurs excessives et de l’érosion.
Dans le bassin de la Boutonne, qui alimente en eau douce les ostréiculteurs de Marennes-Oléron en Charente-Maritime, Olivier Guérin cultive des céréales entièrement bio sur 100 ha.
Ce paysan membre de la Corab, coopérative sociétaire de Biocoop, s’attache à redonner vie à la terre en puisant dans les principes de l’agroécologie.
« La meilleure économie d’eau, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas du tout d’eau qui ruisselle, d’augmenter l’effet éponge des sols, ce qui présuppose qu’ils soient riches en humus et en micro-organismes. Certaines plantes, comme la féverole ou la phacélie, sont capables de structurer le sol à l’aide de leurs racines pivots qui vont permettre d’aérer la terre et d’assurer une meilleure infiltration des eaux de pluie »,
confie cet ex-agent territorial fraîchement reconverti, pour qui le formidable potentiel des écosystèmes est au mieux sous-estimé, au pire ignoré.
« Enfouis dans les sols, les champignons mycorhiziens ont par exemple la capacité d’étendre considérablement le réseau racinaire des plantes et d’offrir une plus grande capacité à extraire l’eau et les minéraux du sol, ce qui entraîne une meilleure résistance au stress hydrique, limitant les besoins en irrigation. Une symbiose inexistante dans les champs traités », précise-t-il.
Entre adaptation ferme par ferme, pédagogie et choix collectifs, l’agriculture aura besoin de réfléchir à tous les niveaux pour envisager l’avenir sous un ciel plus radieux.
Retrouvez cet article en intégralité dans le n°124 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur le site de Biocoop. |